Julie était partagée entre stress et soulagement, en révélant ses secrets à l’américaine. D’une part se décharger du poids de ce secret était agréable. Pouvoir parler de la disparition de Francis avec quelqu’un d’autre qu’Annika sans parler à demi-mot pour ne rien révéler, ça faisait du bien. Dire, à voix haute, qu’elle pensait qu’on s’en était pris à Francis à cause de sa nature de sensate, c’était indescriptible. Après avoir affronté les personnes autour d’elle qui ne comprenaient pas son inquiétude, et à qui elle ne pouvait pas se confier, en dehors d’Annika bien sûr, qui était aussi paniquée qu’elle-même, elle se sentait enfin écoutée. Mais l’inquiétude persistait. S’ouvrir à quelqu’un comportait des risques. Elle venait d’en prendre un.

A mesure que Julie expliquait les choses, Aléa semblait de plus en plus perturbée, presque choquée. Julie sentait qu’elle avait du mal à la croire. Mais finalement un regard lui fit comprendre qu’Aléa avait basculé. Elle avait fait les liens, entre ce que Julie expliquait et ce qu’elle savait déjà. Elle la croyait. Alors que le silence suivant les paroles de Julie flottait encore dans l’air, Aléa se pencha pour sortir de son sac les affaires d’Hayden. Intriguée Julie se rapprocha pour regarder le contenu des pages de l’agenda pendant qu’Aléa lui expliquait le fil de ses pensées. Elle avait mis le doigt sur quelque chose. Julie était impressionnée par la vivacité d’esprit d’Aléa. La jeune femme avait accepté en quelques secondes l’existence d’une autre espèce humaine. Il avait fallu quelques jours à Julie pour le digérer lorsque Francis s’était confié à elle. Et Aléa rebondissait déjà, classant cette information comme si elle était anodine, comme un simple indice supplémentaire lui permettant de se rapprocher de son être cher. Julie la regardait désormais avec une certaine admiration. La méfiance avait laissé place à l’espoir. Cette femme était déterminée. Elle était intelligente et prête à tout. A elles deux, elles augmentaient leurs chances de retrouver Francis ou Hayden. Peut-être même trouveraient-elles les deux hommes, si leur intuition se révélait juste.

« Je pense aussi qu’Hayden est un sensate. Je ne pense pas que Francis et lui se soient croisés. Francis n’était pas sur Paris les jours où Hayden est venu. Mais ils ont pu croiser séparément la même personne. »

Julie tourna l’agenda et pointa du doigt le jour marqué en orange.

« Les autres couleurs, le jaune et le vert, je pense que ce sont ses frères ou sœurs de cercle. Mais celui-ci, je pense que c’est quelqu’un qu’il a rencontré à Paris. Il faudrait pouvoir retracer son parcours. Ca remonte à quelques temps déjà, donc ça sera peut-être un cul-de-sac, mais je pense que ça vaut le coup de tenter. Vous avez accès à ses comptes en banque ? Il a peut-être payé des choses par carte, ce qui nous aidera à comprendre où il est allé ? De mon côté je vais essayer de voir si quelque chose fait tilt avec l’emploi du temps de Francis juste avant sa disparition. Je pense qu’il a rencontré cette personne très peu de temps avant sa disparition, car sinon il m’en aurait parlé. »

Ainsi qu’à Annika, pensa-t-elle en le gardant pour elle. Elle lui parlerait peut-être d’Annika, en temps voulu. Mais elle préférait d’abord parler d’Aléa à Annika, et vérifier que cette dernière était d’accord pour que Julie révèle son existence à une inconnue. Elle ne pouvait pas prendre cette décision pour elle. A la pensée de la sœur de cercle de Francis, une autre idée lui vint.

« On pourrait aussi essayer de retrouver ses frères et sœurs de cercle. Ils savent peut-être quelque chose… Mais ça risque d’être compliqué si l’on ne trouve pas plus d’information que ces dates… Peut-être des actions inhabituelles d’Hayden juste après ses rencontres avec eux, ou carrément des changements d’habitudes, qu’il aurait pu acquérir à leur contact ? On peut peut-être trouver des liens qui nous donneraient des indices sur leur identité ? Mais honnêtement je pense qu’il y a peu de chance de les retrouver. C’est chercher une aiguille dans une botte de foin. Même si on découvre que l’un d’eux est, je ne sais pas, coréen. Il y a un bon paquet de coréens dans le monde, ça va revenir à chercher une aiguille dans une botte de foin. Si ils n’ont pas eux aussi disparu, ils doivent sans doute se cacher et ils ne vont pas se manifester comme ça auprès de nous… »